Ubu, Tranter, Jarry et nous ! Critique de pièce inaugurale du club sorties théâtre

par A.Valette

Ubu, mise en scène de Neville Tranter, jouée le 9 octobre 2020 au Colombier à Magnanville.

Ubu est une pièce pour marionnettes récrite par Neville Tranter à partir d’Ubu Roi d’Alfred Jarry (1896). Elle est en anglais, sur-titrée en français et se déroule dans une Pologne imaginaire.

Comme la pièce de Jarry, celle de Tranter raconte le coup d’État d’Ubu, pour renverser le roi Venceslas, sous l’influence de mère Ubu, la plus ambitieuse de tous !
Si on retrouve les personnages imaginés par Jarry, Tranter invente et incarne l’homme à tout faire des Ubu, Nobody (personne en anglais). C’est sur ce personnage que s’ouvre et se ferme la pièce que nous avons vue, modifiant ainsi le texte initial.

Une mise en scène à la fois riche et dépouillée.
La scène est noire ; un panneau de même couleur sert de décor. Des accessoires (épées ou bouclier) sont fournis à Neville Tranter par un homme dissimulé derrière celui-ci. La richesse de la mise en scène est créée grâce aux marionnettes, fabriquées en papier mâché, aux traits proches de la caricature, et vêtues de manière très colorée. Une bande sonore et des jeux de lumière viennent construire les ambiances et permettent au spectateur d’imaginer les lieux qui entourent les personnages.

Une pièce comique
De nombreux moments dans cette pièce nous ont fait rire ! Ainsi, Mère Ubu fait ses avances au Capitaine Bordure dans un vocabulaire très cru, elle se dispute sans cesse, s’insulte avec son mari devant Nobody, amenant un véritable comique de langage. D’autres moments (là encore imaginés par Neveille Tranter ) déclenchent le rire comme le quiproquo entre Ubu et le Roi Venceslas ; Ubu croit être découvert, avoue ses trahisons à son souverain, mais celui-ci n’entend rien car il a un problème d’audition !

Le comique pour nous faire réfléchir
La pièce est comique mais va plus loin en nous racontant de manière ludique la fracture entre la/les personne.s qui convoitent le pouvoir (ici les Ubu) et celles qui le détiennent (Venceslas, la noblesse). Mais nous leur reconnaissons un point commun : tous délaissent le peuple. Après avoir renversé et assassiné Venceslas, Ubu s’octroie le pouvoir et déclenche les pires maux dans le royaume : exécutions injustes , chômage, famine, vol, guerre.

Témoin de tout cela, Nobody passe pour un personnage insignifiant, voire pathétique, dont le seul compagnon est un ours (qui existe chez Jarry mais pas avec cette fonction), auquel il se confie. Mais ne serions-nous pas ce même ours, nous spectateurs, qui nous retrouvons aussi témoins sans pouvoir agir ? N’est-il pas une sorte d’incarnation de nous-mêmes dans cette pièce ? Ou est-ce Nobody qui nous représenterait ?

Ainsi, quand ce dernier a l’opportunité de s’emparer de la couronne et que des épées apparaissent, s’animent pour le défier et l’empêcher d’accéder au pouvoir nous nous demandons ce que veut nous signifier le créateur de cette pièce ; est-ce que Nobody n’est pas assez noble pour régner ? Est-ce une façon de nous dire que le pouvoir ne doit pas appartenir à une seule personne ? Ou sont-elles des allégories du bon sens de Nobody, qui l’empêcheraient de succomber à la tentation du pouvoir et de finir comme ses prédécesseurs ?