Des élèves de première ES rencontrent deux acteurs de l’Iliade

(actualisé le ) par A.Valette

Nous avons effectué cette interview après avoir réfléchi en classe à la notion de héros. Dans ce contexte, le dossier d’intention de cette mise en scène de l’Iliade par Pauline Bayle soulevait bien des questions en annonçant des rôles masculins joués par des femmes et inversement, mais aussi une mise en scène très dépouillée.

Nous avons pu poser ces questions à deux acteurs de la troupe avant leur représentation à la Nacelle d’Aubergenville le 20 octobre 2017 : Viktoria Kozlova et Yan Tassin (une sortie était organisée le soir-même pour des élèves de plusieurs classes du lycée à ce spectacle).

« L’héroïsme est universel »

Anaëlle : La femme peut-elle être une héroïne au même titre qu’un homme ?
Viktoria : Oui, bien sûr, la notion de héros n’est pas une question de genre ; l’héroïsme est universel.
Nawell ; Pourriez-vous nous préciser votre définition d’un héros ?
Viktoria : Quelqu’un qui est brave, qui passe à l’action pour une bonne cause
Yan : En littérature, le héros est celui dont on raconte l’histoire. Mais ma définition peut paraître réductrice

« L’épure au théâtre permet d’être au plus près de ce que vivent les humains ; elle permet un accord qui unit spectateur et metteur en scène »

Anaëlle : Pourquoi ce choix de mise en scène épurée ?
Yan : Le but était d’être au plus près de ce que vivent les humains pour que le spectateur puisse être touché. Une mise en scène avec de gros moyens et des costumes nous éloigne temporellement des personnages sur scène. L’épure, c’est-à-dire les costumes simples, une mise en scène centrée sur le jeu des acteurs et sur la capacité d’imagination du spectateur, est plus efficace selon Pauline. La même réponse concerne le décor ; mettre un décor nous enferme dans un endroit. Sans décor, on peut être plus souple, se projeter d’un endroit à l’autre avec plus de facilité.
Viktoria ; L’Iliade nous raconte de grandes batailles ; seul le cinéma est capable d’avoir les moyens de rendre vraiment ces moments. Au théâtre, un accord unit le spectateur et le metteur en scène : ce plateau presque nu va représenter un champ de bataille, et chacun des partis va tout faire pour voir jusqu’où on peut aller dans cet accord grâce au texte, grâce à la présence des acteurs et la sincérité dans leur jeu.

« Ce que les gens aiment le plus voir au théâtre, ce sont des acteurs, et l’épure permet cela. »

Nawell ; Cela signifie-t-il que vous adhérez aux choix de la metteure en scène ?
Yann : En fait , comme acteur, je considère que je ne dois pas me poser ces questions. Mon travail comme interprète est d’être l’intermédiaire entre le texte, la mise en scène et le spectateur. La meilleure façon pour moi d’être cet intermédiaire est d’être d’accord avec tout. Si je ne suis pas d’accord, je risque de ne pas permettre cette rencontre. De plus, ces choix d’épure nous mettent au centre du spectacle, cela nous donne une grande place en tant qu’acteur. Parfois, le théâtre accorde une plus grande place au visuel, au décor, à d’autres aspects sensoriels qui relèvent du théâtre alors , là , je me considère comme privilégié de faire partie d’un spectacle qui met en valeur ma section du théâtre. Je crois aussi beaucoup à la sincérité de l’épure ; je crois que ce que les gens aiment le plus voir au théâtre, ce sont des acteurs, et l’épure permet cela.
Viktoria : Oui, c’est vrai. Pour ma part, je viens de rejoindre l’équipe. Mais, si j’ai bien compris, beaucoup de choses ont été écrites ensemble, à partir d’improvisations. Tous les acteurs étaient donc très investis dans ce processus de création.

Anaëlle : La mise en scène repose sur l’épure et aussi sur des échanges de rôles. Une grande confiance est donc accordée au spectateur pour le rendre actif, alors que souvent on considère qu’il a une attitude passive- au cinéma en tout cas. Ici, il doit imaginer ; ne craignez-vous pas que ces choix prêtent à confusion et perdent le spectateur ?
Yann : Nous jouons ce spectacle depuis longtemps. Au départ, je pensais que nous allions générer des réactions vives, surtout à cause de nos inversions de genre pour les grands héros masculins. En fait, cela n’a même pas été un sujet de débat, comme si c’était une évidence que ces personnages pouvaient être joués par des femmes. Peut-être était-ce parce que les spectateurs étaient actifs justement, mais moi j’ai l’impression qu’ils n’ont pas eu grand-chose à faire parce que quand Pauline nous dirigeait, elle mettait en valeur les échanges humains, les émotions, les états, ce qui se passe dans la scène, sans considérations d’étiquette. Pauline nous demandait de chercher le « point de contact » ; qu’est-ce qui nous touche dans tel ou tel personnage, qu’est-ce qui nous relie à lui ? A mon avis c’est cela qui tue la confusion dont tu parlais dans ta question, et qui fait que, dès le départ, on comprend qui est qui.
Viktoria : Oui, et cette mise en scène navigue entre le récit et l’incarnation. Grâce à cette alternance, on se met d’accord sur qui est qui et on montre le caractère universel des émotions et des sentiments.

Nawel : Pourriez-vous revenir sur « cette notion de point de contact » entre le personnage et l’acteur ?
Yann : Oui. Pour être concret, dans la pièce, je joue aussi un vieillard qui brave sa peur et accomplit une action très courageuse. Je craignais de ne pas être crédible, à cause de ma différence d’âge avec lui, mais Pauline m’a proposé de réfléchir à l’énergie vitale qu’il déploie pour accomplir son acte ; quand je joue, il y a aussi une énergie vitale, ce qui pouvait constituer ce « point de contact ». De même, quand je joue Hélène…
Viktoria : La plus belle femme du monde...
Yann (rires) ; la plus belle femme du monde, oui, et bien le point de contact est que je me prends moi-même pour le plus bel homme du monde (rires) ! Plus sérieusement, j’ai cherché mon point de contact autour du fait qu’elle culpabilise beaucoup, et je me suis demandé ce qui m’avait fait culpabiliser dans ma vie. Ainsi, il y a plus de sincérité. Si je suis sincère dans mon jeu, je touche plus les spectateurs. La force d’Homère est en fait d’évoquer dans son texte les émotions primordiales.

« Une invitation à sortir les gens des cases »

Anaëlle : Pensez-vous que ce type de mise en scène peut faire changer l’avis des gens ; que cela peut leur permettre de dépasser la question des genres ? Le théâtre a-t-il ce pouvoir ?
Viktoria : Les gens viennent au théâtre pour des raisons différentes, et sont d’origines sociales différentes. Là est la magie du théâtre. L’important pour nous est de poser des questions. Certains ne vont pas être d’accord avec nos choix, mais si nous les faisons réfléchir, c’est toujours cela de gagné. Pour d’autres, nos choix seront une évidence. L’important est qu’ils ne détournent pas le regard,.
Yann : Pour moi, je crois que je suis moins militant peut-être...je ne me pose pas la question comme cela. L’important est que les gens perçoivent l’histoire qu’on raconte.
Viktoria : Le fait que l’histoire d’Achille ou d’Hector soit racontée par une femme n’est pas forcément un acte militant ; c’est avant tout un acte d’ouverture théâtrale pour dire qu’au théâtre tout est possible, tant que l’on se met d’accord.
AV : Il s’agit donc d’un acte militant vis à vis du théâtre, pour inviter à aller au-delà de la simple question du physique de l’acteur ?
Yann : Oui, comme une invitation à sortir les gens des cases. Dans les écoles de théâtre, on vous parle d’"emploi", on relie un physique à des traits de caractéristiques. Cela pose la question du racisme aussi, de toutes les formes de discrimination dans l’art. Au cinéma, les acteurs jouent dans des vrais décors, ils sont encore plus soumis au fait de coller à une étiquette, mais quand l’un d’entre eux en sort, on crie au génie et il a un Oscar ! Le théâtre permet, quand on se l’autorise, de sortir de ces représentations, mais il y a encore des metteurs en scène qui disent « Toi tu vas jouer lui parce que tu as la tête de lui ! ». C’est une forme de conditionnement, cela ferme des perspectives.

A et N : Merci beaucoup d’avoir répondu à toutes nos questions